Georges Higuet (Nivelles, 1892 - Marcinelle, 1956)
BIOGRAPHIE:
Artiste engagé, et à qui Pierre Paulus montra sa voie, Higuet issu d'une famille d'ouvriers, vécut à Marcinelle et à La Louvière. Ce furent Emile Fabry et Jean Delville qui lui servirent de maîtres à l'Académie des Beaux-Arts de Bruxelles.
En 1914, il s'enfuit aux Pays-Bas et plus exactement à Nuenen, le village de Van Gogh. De là, il se rendit à Amsterdam, sur les traces de Rembrandt. Ses premières œuvres furent montrées au Salon triennal d'Anvers en 1920. Il partit ensuite pour Paris, où il vécut sous les ponts et dans les halles, partageant le sort des clochards. Après douze ans de vagabondage, il revint définitivement à Marcinelle.
Né à Nivelles en 1892, élève à l'Académie des Beaux-Arts de Bruxelles de 1908 à 1914, Higuet est ensuite blessé au front pendant la première guerre mondiale et envoyé en convalescence aux Pays-Bas. Il reste à Amsterdam à la fin du conflit; installé dans le ghetto d'Amsterdam, il s'inspire de la vie dans son quartier pour réaliser de nombreux portraits. De retour à Nivelles, il décide de concourir pour le Prix de Rome, que son professeur Jean Delville a reçu en 1894. Il ne sera pas sélectionné. Plein d'amertume, il s'en ira vivre quelque temps à Paris, le long des quais auprès des sans abri. En 1926, il reviendra en Belgique, à Marcinelle, à un jet de pierre du Cazier. C'est là notamment qu'il réalisera les magnifiques fusains exposés à Lewarde: il saisit sur le vif les traits fatigués et noircis des mineurs sortant tout juste de la fosse.
En 1926, son exposition au Palais du Peuple de Charleroi consista essentiellement en des portraits de mineurs, "les gueules noires", à la vue desquels, un houilleur s'exclama: "Tout de même, quand on voit ça...nous sommes des malheureux."
A partir de 1928, il signa ses œuvres du dessin d'une hache, dont le mot comprenait bien entendu la première lettre de son nom...et représentait l'outil du mineur. On peut certes découvrir dans son œuvre des nus sensuels, mais c'est son "œuvre sociale" qui traduisait le mieux sa personnalité.
P. Werrie, dans Le Vingtième Siècle du 22 février 1931, le décrivit comme "un sauvage hirsute habillé de velours et chaussé de guêtres".
Célèbres sont ses bustes de mineurs épuisés, réalisés au fusain, noircis, mais tout empreints de fierté et de noblesse, à l'image d'un certain Constantin Meunier. (Mineurs 1944 et 1945).
Un esprit soucieux de justice intégrale, donc un souffrant. Il était né pour peindre et il pense: nous l'écoutons parler, mais nous avons vécu parmi les hommes et dans les laboratoires sociaux où les idéalistes s'étiolent: nous demandons brusquement à voir ses toiles. Il s'exécute sans enthousiasme, il aurait voulu faire mieux, comme il voudrait une autre vie pour tous ses frères en pauvreté: il se damne, sa pensée et son travail sont devenus ses cauchemars. Et pourtant c'est un peintre.
Tous ses portraits ont du reste cette note pathétique. Voici un visage de vieux qui surgit de l'ombre comme une âme; la résignation, la fatigue, les épaules pointues d'une femme; l'atmosphère sauvage qui enveloppe la tête de l'artiste, une petite fille encore aux yeux sceptiques, trop savants pour son âge; un odieux gosse sur un fond tragique comme le destin des hommes; une femme douloureuse; une pauvre maternité de taudis d'un rythme nerveux, torturé, poignant; une vieille juive qui va s'évanouir dirait-on, dans l'ombre de la toile. Voici de rares paysages aux touches serrées de facture et rudes d'accent: des murs usés, de chaumes humides, dressées par une tragédie paysanne.
Puis le dessinateur se révèle: il a saisi les lignes essentielles des arbres et des ruelles et fait grelotter, de son crayon aigu, le vent et la lumière; des têtes d'un dessin très pur et très sûr; un visage de femme, non pas une de ces faces resplendissantes qui sont les âmes du décor vivant de nos maisons et de nos rues, mais la figure de l’Ève primitive lorsqu'elle se sépare de la femelle des grottes et des forêts: tout un long et dur passé habite au fond de ses yeux, lui a creusé les joues et pétrifié les os, elle est la bête traquée qui ne cherche plus d'issue et qui attend son destin quotidien: la faim, les coups, les chocs du mâle, les gésines, sans plus penser.
C'est fini. L'artiste reparle des idées éternelles qui, depuis toujours, furent les moteurs des hommes éternellement trompés. C'est fini, et il ne nous a pas laissé le moindre motif de parler de lui. Un critique d'art décrit volontiers un clair paysage entrevu, ou la fructification d'un nu, ou la lumière d'un visage. Nous n'avons rien trouvé de tout cela chez Higuet. Il peint comme il pense, c'est-à-dire en souffrant, il s'est penché sur la douleur millénaire des vaincus, il a broyé ses couleurs avec des larmes et du sang et il en a composé une chanson sauvage que nous n'avons jamais entendue en littérature et qu'aucun peintre n'a jamais dite comme lui. Les autres furent plus lisibles, ils employaient des formules plus accueillantes, plus mélodramatiques souvent, car le genre est périlleux. Celui-ci a composé un chant inédit, puissant et grave, ses œuvres hantent par leur profondeur et emplissent la bouche de cendres. Il n'a fait aucune concession aux méthodes enseignées, il a dédaigné l'éloquence ensorceleuse d'une ligne nue ou d'un accord savant. Nous retrouvons l'une et l'autre dans certaines pages cependant: il aurait pu en tirer parti. Il a préféré écrire sa sombre tragédie à sa façon, tout en noir, où seuls la pâleur d'un visage, l'éclat d'yeux malades, un étoffe déteinte apportent un peu de misérable clarté.
Certes sa "marchandise" n'est pas séduisante, à cette époque où l'on grise de lumière électrique,d'étoffes vives et de musique aiguë. Mais elle est le chant sombre et altéré qui monte des purgatoires sociaux dont la rumeur couvrira, un jour, la vie trépidante et distraite des cités, les enveloppera momentanément et momentanément les réduira en désolation, pour que s'accomplissent à la lettre les prédictions des prophètes.
Georges Higuet vit et travaille selon son destin, loin des amateurs de toiles tranquilles et fraîches. Les amateurs ont tort de ne pas le joindre, car quoi qu'ils puissent en penser, ils ont affaire à l'un des plus vigoureux et des plus profonds artistes du pays.